Carnaval de Notting Hill

Le Carnaval de Notting Hill est aujourd’hui l’un des plus grands événements de rue d’Europe. Pourtant, ses origines sont profondément militantes.
L’histoire commence dans le Londres des années 1950 marqué par l’arrivée massive de travailleurs caribéens après la Seconde Guerre mondiale, la fameuse génération Windrush. Ces nouveaux arrivants venus de Jamaïque, de Trinité-et-Tobago, de Barbade ou de Grenade, espéraient participer à la reconstruction du pays. Mais ils furent confrontés à un racisme virulent, à la ségrégation et à une précarité économique forte.

En 1958, de violentes émeutes raciales éclatent à Notting Hill, un quartier alors ouvrier où se concentrait une partie de la communauté caribéenne. En réponse à ce climat hostile, une militante trinidadienne, Claudia Jones, fondatrice du West Indian Gazette, décide d’organiser en 1959 un événement culturel à Londres : un carnaval d’hiver célébrant la culture antillaise à travers la danse et la joie collective. Ce premier carnaval, organisé en intérieur, est souvent considéré comme le prélude du Carnaval de Notting Hill.

C’est au milieu des années 1960 que le carnaval sort véritablement dans la rue. En 1966, Rhaune Laslett, une activiste locale d’origine amérindienne et britannique, organise un défilé communautaire dans Notting Hill, mêlant les habitants de toutes origines. L’événement attire la participation d’artistes caribéens, notamment des batteurs et danseurs de steel bands de Trinité-et-Tobago. C’est la rencontre de ces deux initiatives — celle de Claudia Jones et celle de Rhaune Laslett — qui donne naissance au Carnaval de Notting Hill tel qu’on le connaît aujourd’hui. C’est clairement une fête populaire, artistique et multicolore, ouverte à tous, où la musique caribéenne devient un symbole de résistance et de fierté identitaire.

Au fil des décennies, le carnaval devient le porte-voix des communautés afro-caribéennes de Londres. Les costumes flamboyants, les plumes, les masques et les chars décorés s’inspirent directement des traditions du Carnaval de Trinité-et-Tobago, tandis que les sons du calypso, du soca, du reggae, puis du dancehall envahissent les rues.

Mais le carnaval n’a pas toujours été pacifique. Dans les années 1970 et 1980, il a été le théâtre de tensions avec la police britannique, sur fond de discriminations raciales et de contrôles abusifs. Ces affrontements ont transformé l’événement en un symbole politique fort, défendant la liberté et la solidarité.

Carnaval de Notting Hill, 1975 © Chris Steele Perkins/Magnum photos

Aujourd’hui, le Carnaval de Notting Hill a perdu sa dimension strictement militante pour devenir une célébration culturelle planétaire. Chaque année, pendant le dernier week-end d’août, le quartier de Notting Hill se métamorphose : chars, sound systems, danseurs costumés et vendeurs ambulants transforment les rues en un océan de couleurs.

L’événement attire désormais plus de deux millions de participants venus du monde entier rivalisant avec les plus grands carnavals du monde, comme ceux de Rio de Janeiro ou de Trinité-et-Tobago. La programmation mêle musiques traditionnelles et sons modernes.

Au-delà de la fête, le carnaval reste un espace d’expression et d’unité. Les différentes communautés y coexistent dans une ambiance festive, rappelant que Londres est l’une des capitales les plus multiculturelles du monde.

Le Carnaval de Notting Hill génère aujourd’hui des retombées économiques considérables pour la ville. Plusieurs dizaines de millions de livres sterling chaque année nourrissent l’économie locale. Les commerces, hôtels et restaurants du quartier profitent de cet afflux massif.

Plus de soixante ans après sa création, le Carnaval de Notting Hill reste un symbole de la diaspora noire et de sa contribution essentielle à la culture britannique. Il incarne la résilience mais aussi la joie collective face à l’adversité. Pour beaucoup, y participer, c’est honorer une mémoire et célébrer la puissance de la culture afro-caribéenne.

Mon expérience au carnaval de Notting Hill

Pour participer au carnaval et rien louper, il faut se lever tôt. Contrairement aux habitudes françaises où la fête commence en début de soirée, à Londres on commence dès 9h du matin.

Je ne savais pas à quoi m’attendre en arrivant à Notting Hill. J’avais entendu parler du carnaval comme d’un tourbillon de sons, de danse et de sueur. Mais dès ma sortie du métro, j’ai compris. C’est plus qu’une fête. C’est un moment suspendu où Londres devient furieusement vivante. Les percussions résonnaient déjà dans le lointain et les basses faisaient trembler le sol. L’air sentait la bonne humeur. Les rues étaient pleines à craquer mais tout le monde avançait avec une même énergie. J’ai suivi le flot sans plan ni direction, seulement portée par la musique.

Je me suis arrêtée devant un sound system installé sur une petite place. Le DJ enchaînait du soca, du reggae, puis un remix d’amapiano. Autour de moi, des corps de toutes les couleurs se mouvaient à l’unisson. Une femme jamaïcaine d’une trentaine d’années winait tout en recalant tous les hommes qui tentaient de se coller à elle.

Le Carnaval de Notting Hill, ce n’est pas un simple spectacle, c’est une expérience physique et émotionnelle. On ne regarde pas, on participe. On entre dans une transe collective. J’aime dire qu’il s’agit d’une conversation entre les cultures.

Ce que j’ai aimé, c’est l’atmosphère. Bien que la foule soit immense tout se déroule dans le respect. Les rencontres sont spontanées et les sourires sincères. Les costumes rivalisent de créativité. À chaque coin de rue, un groupe de danseurs fait son show et le public devient leur partenaire.

Mais derrière la fête, il y a toujours un message : celui de la fierté noire et de la solidarité diasporique. Ici, les cultures africaines et caribéennes dialoguent. C’est une célébration de la différence — et de ce qu’elle apporte au monde.

À la tombée du jour, quand la musique commence à s’éteindre, la ville retrouve peu à peu son souffle. Les rues sont jonchées de confettis et de gobelets, les vendeurs replient leurs stands.

Je me dis que ce carnaval, c’est tout ce que j’aime dans la culture afro : la beauté dans le chaos, la force dans la joie, la mémoire dans le mouvement. De plus, le corps de la femme se libère. On pourrait penser qu’il est sexualisé mais bien au contraire, la femme est celle qui mène la danse et celle-ci exprime sa liberté. Elle est libre d’être sexy, mince, ronde, blanche, noire… L’importance est de vibrer au rythme de la musique.
Le Carnaval de Notting Hill est un hommage à ceux qui ont résisté, une ode à ceux qui continuent à célébrer. Un rappel que danser c’est le plus beau des actes politiques.

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